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Christophe Loyer

C’est un sculpteur qu’une longue réflexion sur la statuaire a conduit vers la photographie et la poésie. Il vit et travaille à Montreuil, mais aussi dans un moulin du Berry, au cœur des productions poétiques des rouages et machineries.
Depuis près de vingt ans il explore ainsi le corps, ou mieux, la « chair » de ce noyau obscur et invisible, intérieur à la lumière, et cette matière est aussi pour lui celle du regard lorsqu’il éclaire, de la pensée lorsqu’elle réfléchit. Ce lent cheminement l’a remis sur les traces de la   « lumière ténébreuse »   qui attire les faisceaux des regards, courbe les rayons de la pensée, aimante la création tout en restant inaccessible : l’invisible qu’aucun visible n’épuise, le silence fondamental à toute musique, l’inexprimable propre à tout langage. Les différentes séries de traces de lumière exposées, les machinations de ce dispositif qu’est le skoténographe (du grec skotéinos : obscur), ces images qui ne sont « pas produites par la main de l’homme », décrivent les figurations possibles de « ce qui me regarde» dans tout regard, du « ça » de « ça me regarde », de ce que l’artiste a « en garde » quand il crée.
Le déploiement de ces figures d’ombre et de lumière est conduit avec une rigueur extrême. Elles découlent de gestes et de protocoles clairement identifiables, les règles du jeu sont énoncées, les configurations possibles et compossibles répertoriées. Et pourtant cette exploration reste un cheminement à travers la sensibilité, avec des approches où la vue, le tact et l’écoute, mais aussi le goût et le sentir voient leurs frontières singulièrement brouillées. Ces traces ou tracés de lumière révèlent en effet des textures propres, ne serait-ce que par l’hésitation et l’irrégularité que celle-ci a de se répandre, de se distribuer quand elle est faible, réfléchie ou difractée, non plus soumise au visible mais livrée à elle-même. Le papier photosensible révèle alors ces vibrations, ces frémissements secrets du grain de cette matière-lumière sous un tracé d’apparence rigoureuse et géométrique.
Les sculptures sont autant de scènes, de tableaux, de « mystères » où des personnages issus des plus lointains drames cosmiques, condensés dans l’énigmatique figure de l’acrobate, rejouent l’histoire de l’instauration « du jeu du monde » par « Le moteur immobile » : ce qui meut toutes choses sans être mu lui-même. La sculpture peut-elle tout nous dire sur notre façon d’être et d’habiter le monde, au point où le temps et l’espace, le ciel et la terre, le destin et le libre arbitre, la règle et le jeu, le mouvement et l’immobilité s’équilibrent et s’interpénètrent ?
 

Georges Quidet, galerie HCE, Saint Denis, 2016