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Christophe Loyer ou l’art du dédoublement

Christophe Loyer, un sculpteur ? Assurément, mais aussi un scientifique, un architecte, un metteur en scène ; un illusionniste, un funambule, un rêveur ; un humoriste, un humaniste et un poète. L’honnête homme soi-même, tel que nous le concevions au XVIIIème siècle…

Du temps ou spiritualité, lyrisme et sensualité n’étaient pas obligatoirement antagonistes et où la gravité et le plaisir pouvaient se côtoyer sans heurts. Où l’ennui était haïssable jusque dans les plus savants domaines. Où il était permis de divaguer, avec esprit, avec intelligence.

De l’intelligence, Christophe Loyer en a à revendre ! Au point même que l’on se prend à craindre que son œuvre ne pêche par excès d’intellectualité lorsque nous lisons ses préfaces au autres textes destinés à expliquer le pourquoi et le comment de sa création.

Grâce aux dieux, il n’en est rien ! et c’est bien de la fascination, une étrange et surprenante fascination que nous éprouvons devant ces sculptures « réalisées en partant d’esquisses en terre très vagues, presqu’informes ».

Des esquisses qui sortant peu à peu « du champ de l’incohérence » deviennent « Personnages » qui, arrachés à leur gangue originelle se font moines – tibétains de préférence – accroupis, plongés dans la méditation, « Patriarches » immobiles imprégnés de sagesse ou « Samouraï », genou au sol, prêt à bondir. Point de visage et cependant, ici, toute la mystique et la sérénité bouddhistes et la violence nippone ramassée sur elle-même… Pourquoi l’Extrême-Orient et pourquoi ces fantômes d’Asiatiques – car fantômes ils le sont ! – alors qu’aucun regard aux yeux bridés, aucune robe safran, rien si ce n’est ce je-ne-sais-quoi chez ces orants qui nous impose le silence, le calme et la réflexion qui tant ont déserté notre Occident éperdu – et perdu – de matérialité et de jouissance.

Mais la sculpture de Christophe Loyer ne se borne pas à ses seuls « Personnages », silhouettes admirables de terre à peine dégrossies… Il existe encore ces autres œuvres vaguement babyloniennes, inspirées d’un voyage en Égypte. Statues, et quelles statues !

Les unes aux ébauches de visages résignés, au chef ceint d’une couronne dérisoire, aux épaules tombantes, au corps vêtu d’un pagne sommaire, affalés sur un tabouret à trois pieds. L’accablement, la déchéance, le grotesque, toute la misère du monde…

Les autres hiératiques et superbes, coiffés de hauts bonnets de pharaons ou de grands prêtres assis bien droits, avec fierté et dignité dans de roides fauteuils aux dossiers élevés… À moins que gratifiés d’une tête vaguement zoomorphe, ils semblent se plaire à nous narguer malgré leur allure pateline de magistrats attentifs et bienveillants. Il peut y avoir du Daumier chez cet artiste-là !

Puis, ô surprise, voici Christophe Loyer paraissant faire joujou avec de minuscules figurines de bronze s’adonnant à de périlleux exercices d’équilibristes assis sur une balançoire, agrippés à une corde, franchissant une étroite passerelle au-dessus d’un vide à nous donner le frisson… Un jeu, peut-être, un jeu de cirque qui comme tous les jeux de cirque authentiques sont faits tout à la fois pour étonner, enchanter et susciter notre peur, délicieusement. Mais un jeu savant, calculé au millimètre près – et c’est là où nous découvrons le « matheux » – que ces « sculptures suspendues » ou, comme il le dit encore, de « géométrie spatiale », chefs d’œuvres miniatures d’équilibre et d’humour, se balançant, virevoltant, voltigeant, plongeant, se reprenant, s’agrippant, se détachant entre ciel et terre des filins plus ou moins arachnéens de cuivre ou de laiton dans un espace imaginaire. Semblables à des vaisseaux de haute mer aux voiles de métal gonflées, enflées de brises immobiles tandis qu’à terre, tout en bas, des gnomes aux coiffures de bouffons, se bornent attendre, la main dans les cordages, une chute rendue impossible par tant de minutieux calculs.

Christophe Loyer, un artiste qui sait allier la plus extrême rigueur à la plus grande fantaisie, le sacré au profane, l’individu tel qu’il devrait être et tel qu’il est réellement, mi-homme, mi-bête, à moins qu’il ne soit jongleur et riant, se moquant de tout, même de sa vie.

Christophe Loyer, un sculpteur profondément original, un marginal dont il convient de retenir le nom car demain il comptera parmi les plus grands.


Pierre Brisset
3 juin 1992, introduction à l’exposition à la Galerie Sculpture, rue Visconti, Paris 75006