Quelques éléments concernant le Cirque Philosophique

De la même façon que des mythes et légendes nous parviennent déformés à travers des représentations fragmentaires, ou que les peintures rupestres renvoient obscurément à des croyances et pratiques oubliées, des traces sont apparues qui semblent issues d’une tradition circassienne inconnue.

Certains prétendent aujourd’hui que son origine se perdrait dans la nuit des temps, d’autres qu’elle se perpétuerait encore secrètement en des régions reculées du globe, voire même parmi nous, à notre insu.

Des entités impalpables telles que gravité et légèreté, immobilité et mouvement, ou règle et jeu peuplent l’olympe de cette communauté acrobatique. Pour cette raison, ainsi que pour d’autres qu’il serait prématuré d’énumérer ici, un nom a été donné à ce peuple funambule et furtif, celui de CIRQUE PHILOSOPHIQUE.

Comme cela se produit souvent lors de fouilles archéologiques, les couches de limons dans lesquelles, un à un, affleurent ces rares fragments ont été maintes fois bouleversées par des événements telluriques. En outre, dès l’apparition des premiers vestiges de nombreuses contrefaçons commencèrent à circuler. Et même, certaines pièces authentiques, à l’ancienneté bien établie, se révélèrent avoir été des copies d’originaux déjà disparus à leur époque. Ainsi, à mesure que de nouvelles bribes sont mises à jour notre connaissance de cette culture verticale s’enrichit, sans qu’on sache cependant avec certitude l’ordre dans lequel elles doivent être disposées, le sens qu’il faut leur donner, le crédit qu’on peut leur accorder. En dépit, ou peut-être à la faveur de cette obscurité de nombreuses théories ont fleuri, et fleurissent encore, sur ces reliques.

Parmi ces vestiges, un ensemble de sculptures en cuivre bien conservées, et peut-être destinées à être suspendues, évoque un univers soumis à des lois immuables. Dans chacune d’elles, une boucle sans fin relie des acrobates au dessus de l’abîme.

On s’est interrogé sur la fonction de tels objets. Certains y ont vu des documents nécessaires à la transmission d’un répertoire de tours acrobatiques célèbres. D’autres suggérèrent qu’elles pourraient perpétuer la mémoire de voyages chamaniques sous la protection d’esprits non humains. D’autres enfin formulèrent l’hypothèse selon laquelle il s’agirait de tableaux évoquant les épisodes d’une cosmogonie fondée sur l’équilibre. Pour une fois ces experts ne furent pas longs à s’accorder sur l’existence de cinq couples d’entités invisibles, garantes de cette harmonie originelle : Règle et Jeu; Ciel et Terre; Immobilité et Mouvement; Destin et Liberté; Espace et Temps.

On remarqua aussi que, dans ces figures, les mêmes acrobates apparaissaient de façon récurrente, bien qu’assemblés différemment. Cette combinatoire suggéra que ces tableaux suspendus pourraient être les idéogrammes d’une écriture encore à déchiffrer, une langue secrète venant redoubler leur fonction illustrative, commenter leur message visuel.

Sans entrer dans les controverses suscitées par cette épigraphie aérienne, qu’il nous suffise de dire ici que les éléments composant ses signes hypothétiques ont été rassemblés en trois groupes grammaticaux: 1: les acrobates, 2: leurs supports, 3: le fil qui les relie.

1 – Les acrobates:

Chaque acrobate du Cirque Philosophique est pris dans une attitude particulière qui le caractérise, avec laquelle on le retrouve dans des figures successives. Un seul d’entre eux cependant semble avoir la faculté d’apparaître deux fois au même instant, c’est à dire dans la même figure. Ce funambule, singulier par ce pouvoir de duplication, se tient debout les bras tendus devant lui. Il est vêtu d’une sorte de salopette – il pourrait aussi s’agir d’un gilet de sauvetage – et sa tête se recourbe en queue de poisson. Apparu sur de nombreux sites de fouilles il devint vite familier des archéologues sous l’étrange sobriquet d’Acrobate Aveugle, justifié peut-être par une sorte d’absence sur son visage. Ce double personnage se trouva récemment au cœur des débats concernant les couples Ciel/terre, Immobilité/Mouvement, Destin/Liberté et Espace/Temps évoqués plus haut.

La parure de l’Acrobate Aveugle

Certaines figures acrobatiques suggèrent en effet que l’un des membres de ce binôme tomberait vers la Terre, alors que l’autre tomberait vers le Ciel. On en déduisit qu’ils auraient pu jouer un rôle de passeurs entre les deux registres d’un visible habité par les acrobates, mais hanté par ces entités immatérielles. Pareille hypothèse se trouva confortée par la découverte d’une parure en raphia à leur effigie, accompagnée d’objets évoquant des outils rituels. L’apparition d’une captation filmée documentant une cérémonie dans laquelle interviennent des objets semblables prouverait que ces pratiques se sont perpétuées jusqu’à récemment. L’authenticité de ce document cependant est mise en doute.

Les jeux de l’Acrobate Aveugle

Parmi les objets accompagnant la parure de l’Acrobate Aveugle:

  • Un miroir portatif enchâssé dans un étui de raphia;
  • Plusieurs petites toupies en terre cuite;
  • Des combinatoires de mots gravées sur bois et sur papier ;
  • Un grand carillon en cuivre;
  • Des petites boîtes en argile hermétiquement closes, à l’exception de minces fissures par lesquelles une fraction seulement de leur intérieur est visible. Certaines sont montées sur un manche en argile également, les faisant ressembler à des hochets, ou a des encensoirs.

La signification des objets de l’Acrobate Aveugle fait encore polémique; L’interprétation la plus commune est qu’il s’agirait de dispositifs optiques, bien qu’aucune preuve n’ait pu être apportée à l’appui de cette hypothèse.

À suivre…

(Extraits de « Conférence cryptofunambulesque », Christophe Loyer, festival Cactus Calamité , Vailly sur Sauldre, France et festival Les Arts Lézardés, Boussac, France, 2019)